Dans les sous-sols feutrés d’un institut prestigieux, une question persiste : comment expliquer que la nomination d’une femme à la tête d’un laboratoire soit encore vécue comme une révolution, et non une évidence ? À Tokyo, le champagne coule pour une première cheffe d’équipe en 90 ans d’existence. Pourtant, à l’échelle du globe, ce qui devrait être une simple formalité devient presque une curiosité. Les statistiques semblent prometteuses – les femmes arrachent désormais plus de doctorats que jamais – mais combien signent réellement les grandes avancées, combien dirigent les instituts ou imposent leur nom au fronton des découvertes ?
La science se prétend le royaume du rationnel, mais ses couloirs bruissent encore de non-dits, de mythes, de portes à moitié fermées. Qui tient réellement les rênes dans ce théâtre du savoir ? L’image lisse du progrès cache mal des rapports de force beaucoup plus rugueux.
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Plan de l'article
Hommes et femmes dans la science : un panorama mondial des inégalités
Impossible de détourner le regard : les femmes ne composent même pas un tiers des chercheurs à travers le monde. Peu importe le continent, le secteur, la bannière universitaire : l’écart demeure. En France, elles représentent 35 % des effectifs dans la recherche publique d’après le CNRS, mais à la barre des unités de recherche, la proportion s’effondre à 19 %. L’Union européenne affiche un maigre 33 %, avec des écarts criants selon les disciplines. L’informatique, l’ingénierie ? Presque des clubs privés pour messieurs. À l’inverse, biologie et médecine ouvrent davantage leurs portes, sans pour autant bouleverser la donne.
À mesure que l’on gravit la hiérarchie universitaire, le déséquilibre s’accentue : les postes à haute responsabilité restent verrouillés par les hommes. Le fameux « plafond de verre » ne s’est pas volatilisé, il s’est simplement sophistiqué. Un coup d’œil aux palmarès scientifiques internationaux, prix Nobel en tête, et le constat saute aux yeux : la reconnaissance mondiale échappe encore très largement aux femmes. Marie Curie continue de briller comme une exception, plus d’un siècle après son exploit, preuve que l’histoire avance au ralenti.
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- En Asie, la Chine affiche des progrès, mais seulement 20 % de femmes parmi ses chercheurs.
- En Amérique du Nord, le Canada atteint la barre des 40 %, tandis que les États-Unis peinent à dépasser 34 %.
- En Afrique subsaharienne, la proportion féminine tombe à 30 %.
La mondialisation n’efface pas le fossé. Les rapports Unesco et OCDE convergent : la présence des femmes dans la recherche scientifique reste marginale malgré de lents progrès. Derrière les hommages rendus à quelques pionnières, une réalité beaucoup plus contrastée se dessine : les carrières féminines avancent, mais en slalomant entre obstacles et résistances persistantes.
Pourquoi la recherche scientifique reste-t-elle un bastion masculin ?
Dans les labos et les amphithéâtres, une vieille partition continue de se jouer. Les stéréotypes de genre, inoculés dès l’enfance, détournent encore les filles des filières scientifiques les plus valorisées. L’effet cumulé des regards, des attentes parentales, du système scolaire, finit par orienter les ambitions. De la biologie, oui, mais l’ingénierie ou la physique, bien moins. La mécanique est subtile, mais redoutablement efficace.
La science, c’est le temps long, les sacrifices personnels, les nuits blanches et l’incertitude. Le plafond de verre ne tarde pas à s’inviter : promotions bloquées, portes closes vers les postes de direction, reconnaissance fragmentaire. L’effet Matilda, révélé par Margaret Rossiter, souligne ce biais tenace : les découvertes des femmes sont trop souvent attribuées à leurs collègues masculins. La discrimination n’est parfois qu’un souffle, mais il suffit à ralentir l’ascension.
- Les concours, les jurys, les critères de sélection ? Ils portent encore la trace de vieux réflexes.
- La précarité des débuts de carrière, les contrats à durée déterminée, refroidissent bien des vocations féminines.
Déjà au siècle dernier, Robert K. Merton pointait le « crédit social » accordé aux hommes dans la communauté scientifique. Pierre Verschueren, de son côté, a démontré comment les réseaux d’influence, presque exclusivement masculins, verrouillent l’accès aux postes de pouvoir. La recherche n’a rien d’un laboratoire stérile : elle reste traversée par des codes, des habitudes qui favorisent la domination masculine, même si les discours officiels se veulent rassurants.
Portraits et chiffres : quand les femmes bousculent les codes
La tendance se confirme : moins de 30 % des chercheurs mondiaux sont des femmes, selon l’Unesco. En France, le CNRS atteint tout juste 35 % de femmes scientifiques. Parmi les professeurs d’université, le chiffre chute à 27 %. Pourtant, des figures émergent et incarnent un changement, discret mais déterminé.
Marie Curie reste la figure de proue, celle qui a ouvert la brèche. Rosalind Franklin, longtemps occultée, a révélé la structure de l’ADN – sa contribution, désormais saluée, illustre le retard de la reconnaissance. Plus proche de nous, Claudine Hermann, première femme à entrer à l’Académie des sciences en 2005, a fait sauter un verrou de plus. Ces parcours, longtemps vus comme des anomalies, commencent à se multiplier, doucement mais sûrement.
- Depuis 1998, le prix L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science a mis en lumière plus de 120 chercheuses d’exception, en chimie, physique, biologie.
- En Europe, les doctorats sont désormais obtenus à 48 % par des femmes, mais cet équilibre s’évapore dès qu’il s’agit d’accéder aux postes de direction.
Portées par l’audace des pionnières – Irene Joliot-Curie, Evelyn Fox Keller et tant d’autres – de nouvelles générations de jeunes femmes investissent les laboratoires d’Oxford à Berkeley. Mais la dynamique reste inégale : biologie, médecine, sciences humaines sont plus ouvertes ; physique, maths, informatique, bien moins. Les statistiques ne racontent pas toute l’histoire, mais rappellent que la science, elle aussi, est un territoire à conquérir.
Vers une parité réelle : quelles pistes pour rééquilibrer la balance ?
Le chantier est colossal, mais des outils commencent à émerger. Sur le terrain, plusieurs leviers se mettent en place pour transformer durablement la physionomie des équipes de recherche. Dès le collège, il s’agit d’encourager les jeunes filles à choisir sans crainte les filières scientifiques. La journée internationale des femmes et des filles de science, chaque 11 février, ne se contente pas de cocher une case symbolique : elle vise à secouer les mentalités, à interpeller élèves, parents et enseignants.
La réussite passe aussi par des initiatives concrètes : le mentorat dans des institutions comme l’École normale supérieure ou le CNRS, permet à de jeunes scientifiques de bénéficier d’un accompagnement sur mesure, de réseaux et de modèles inspirants. Au Canada ou au Royaume-Uni, ces programmes ont déjà montré leur efficacité pour retenir les talents féminins dans la recherche.
- Instaurer des quotas dans les jurys de sélection pour briser la reproduction des schémas existants.
- Augmenter la visibilité des chercheuses lors des conférences et publications majeures.
- Multiplier les bourses et financements dédiés, via des partenariats public-privé, pour soutenir les carrières scientifiques féminines.
Les avancées sont tangibles dans les sciences humaines et sociales, mais la technologie et l’ingénierie avancent à petits pas. Les réseaux internationaux de femmes scientifiques, en plein essor, permettent d’échanger, de s’épauler, d’élargir les horizons. Le mouvement lancé dans les années 1970 n’a pas dit son dernier mot : la science, elle aussi, peut devenir un terrain de jeu à égalité – à condition de continuer à secouer la poussière des traditions. Demain, qui s’étonnera qu’une femme dirige un institut ? Peut-être plus personne, et c’est bien le pari qu’il faut tenir.